Ce qu’a dit Elena

jeudi 5 mars 2020
par  Francois Sauterey
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Il est des mots qu’on ne voudrait jamais avoir à écrire… Ceux ci en font partie.

Ma mère en plus d’être une grande femme militante, à été la mère de l’adolescente que j’ai été. Pas facile à vivre, je n’ai compris qu’il y a quelques jours, en lisant ses mots à elle quand elle avait alors ado, que si elle ne nous a jamais lâché Boris et moi, et si elle a toujours cherché les bons mots, c’est peut être tout simplement parce qu’elle aurait voulu les entendre alors en son temps. Elle est la femme qui a éduqué, à sa suite, une jeune femme pleine de révolte et de détermination. C’est elle qui m’a inculqué le sens du mot justice et qui m’a tout de suite fait comprendre qu’en tant que Femme, j’allais rapidement faire la rencontre de son opposé et qu’il ne faudrait jamais abandonner.

C’est certainement la chose que je n’ai que trop bien enregistré, ne jamais lâcher, jamais. Telle mère, telle fille, je suis une hargneuse qui par peur de salir le nom de sa mère n’abandonnera jamais une lutte. Et quand je parle de lutte, bien sûr, il y a les luttes sociales, mais il y a aussi les luttes de la vie.

Beaucoup d’entre vous ont appris tardivement ce que maman a fait le choix de traverser seule. Ou en tout cas entourée de son clan le plus restreint. Elle était ce loup solitaire devenue cheffe de meute après avoir su dompter son entourage. C’est dur, mais pendant ces trois ans, j’ai assisté à un combat de titan, mené par une guerrière, qui n’a jamais ni cesser de travailler, ni de militer et encore moins cesser d’entretenir un foyer breton chaleureux. Cette maison, sa maison, notre maison aujourd’hui est à l’image de sa vie. Retapée, pièce par pièce, mur par mur, et même, pierre par pierre. Elle a accueillie en son sein une famille plus soudée que jamais.

J’écrivais il y a quelques années un texte dont une partie lui était adressé : « La vie ça va trop vite, ça va, ça vient, ça prend aux tripes. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée me rappelle aux heures dans le jardin observant le va et vient de ma mère derrière la tondeuse. » Je crois que quand on me parle d’elle, après sa vie militante on m’a toujours vanté la qualité du travail manuel qu’elle a accompli. Tant dans la tenu du jardin que dans la pose du placo, du parquet, la peinture des pièces, poncer et cirer le parquet… Même quand elle en avait marre elle ne s’arrêtait pas. Elle devait le faire. Elle était de ces personnes qui marquent une vie par sa rigueur et son désir de toujours bien faire les choses juste par ses petits gestes. Ce sont ces tous petits gestes du quotidien qui selon moi ont fait d’elle une femme marquante. Parce qu’elle savait en faire des gestes exceptionnels.

Je pense qu’en voulant une cérémonie militante, ma mère voulait qu’on célèbre ses nombreuses victoires ; alors pour lui rendre hommage il en faudra des poings levés, des chants, des anecdotes de ses nombreuses luttes. Parce qu’elle n’a jamais cessé de lutter tant à Radio France mais j’aimerai aussi connaître des moments de quand elle était étudiante. Nombreux sont les souvenirs, de mes premières manifestations me baladant du cortège de papa à celui de maman, de la fierté dans son regard quand je suis revenue de l’école avec ma première banderole contre la guerre en Irak, ma tout première activité militante à moi, et la même fierté bien plus tard, des débats enflammés du fait de nos désaccords stratégiques, mais j’avais trouvé mon chemin à moi. Je veux pour elle, qu’on ne s’arrête jamais de lire et d’avoir des discussions passionnées sur l’Amérique Latine. J’y retrouverais avec plaisir, gravés dans ma mémoire, les souvenirs de discussions passionnées de maman parlant de la vie d’Allende et de l’Histoire de ce pays.

Maman n’aura pas eu la chance de profiter de cette foutue retraite, il faut donc qu’on lui offre le magnifique pot de départ qu’elle n’aura pas… J’aurai aimé qu’elle connaisse encore mon quotidien pendant les nombreuses années à venir, passer tous mes dimanches après midi chez les parents et continuer de prioriser mes vacances avec eux plutôt que n’importe quel autre projet. J’essaierai, du mieux que je peux, de faire vivre son souvenir dans les voyages à accomplir, dans les grands moments de la vie, dans les petites habitudes que nous avions toutes les deux.

Je veux faire revivre par cette journée, mes souvenirs de petite fille, d’adolescente et de jeune femme. Me souvenir de son soutien quand je doutais, me souvenir de sa tendresse dans les fameux petits gestes du quotidien et rien de plus. Je veux que demeure le souvenir d’une femme solaire, radieuse, par la blondeur de ses cheveux et le bleu de ses yeux rayonnants. Je veux retrouver le sens du mot liberté chanté par Angel Parra dans la personne de ma mère.

Et s’il est des souvenirs que je veux garder au plus près de moi, qui m’éloignent de cette société et font résonner en moi cette chanson, ce sont ces balades à vélo, au bord de la vilaine à travers les champs, en plein été, c’est à ce moment là que les yeux de maman semblent plus bleus et que sa crinière semble s’embraser c’est à ce moment là qu’elle ne m’a pas qu’appris le sens du mot justice mais que je découvre aussi la simplicité du mot liberté.


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